mercredi, 16 février 2011
Ally McBeal : Souvenirs, et réflexions, autour de la série...
Aux Etats-Unis a débuté récemment Harry’s Law, une toute nouvelle série de David E. Kelley, un des plus brillants scénaristes de séries des années 90. Et dans les coulisses du monde des séries, on annonce un projet de remake de Wonder Woman chapeauté par l’homme, qui verrait le retour sur les écrans de la belle Amazone. Je n’ai pas encore jeté un oeil à Harry’s Law, mais je me suis replongé récemment dans Ally McBeal, l’une des premières séries-phares de Kelley, une des séries des années 90 qui m’avait le plus marqué. Une série dont je me suis désintéressé progressivement, et que je n’ai plus regardé ensuite… Jusqu’à il y a peu. Donc, quelques réflexions et souvenirs autour de la série.
L’évolution de la série, mon parcours avec celle-ci.
En y repensant, et pour faire le lien avec une autre de mes séries préférées, Ally McBeal a connu une évolution relativement sensible à celle de Mission : Impossible : une première saison où la série se cherche, cherche son identité, malgré des flamboyances, passages réussis augurant de la suite. Puis 2 saisons fort réussies, avant que la série ne commence son déclin progressif pour les Saisons 4 et 5. C’est en tout cas, l’image que je m’étais fait de la série dans mes souvenirs. Sauf bien entendu que Mission : Impossible aura duré 2 saisons de plus.
Et donc je me souviens avoir véritablement accroché à la série à la fin de la saison 1, trouvant ses excentricités géniales, pour ne plus la lâcher et suivre religieusement les diffusions de la série le jeudi sur M6 jusqu’à… la Saison 3. La série a ensuite perdu de son intérêt pour moi, la faute à une Callista Flockhart effrayante de maigreur dans la Saison apparue comme l’ombre d’elle-même. La faute à une série commençant à s’épuiser d’elle-même. La faute au début de la Kelleyrisation galopante de la série : on fait sortir des personnages de son chapeau pour revitaliser la série, mais sans rime ni raison, et surtout sans vraiment nous expliquer les raisons de leur présence, au point que le procédé, libre de toute excuse ‘formelle’, devient transparent. Malgré un personnage bien trouvé et pensé incarné par un acteur ayant connu une belle traversée du désert, Robert Downey Jr, plus connu désormais pour le renouveau de sa carrière au cinéma dans des rôles-clé et principaux de films blockbuster. Et une dernière course à la Guest pour la saison 5, où on parlait plus, toujours dans mes souvenirs, des acteurs invités dans la série que des intrigues de celle-ci : Heather Lockhart, Christina Ricci, Jon Bon Jovi... Ainsi que le départ progressif des personnages emblématiques, les uns après les autres, de la série. Côté intrigues, là encore, on pouvait sentir la fin prochaine de la série : on se met à proposer à Ally ce après quoi elle semblait courir : une vie très conventionnelle correspondant au “modèle” de nos sociétés, ce vers quoi on nous pousse inexorablement : un homme à épouser, une enfant, une maison… J’avoue que je ne me souviens que de loin de cette saison 5, ayant presque lâché la série durant la saison 4.
Flottements, hésitations… Ally McBeal, série aux multiples visages.
Ally Mcbeal est une série hybride, qui aura toujours oscillé entre plusieurs choses. Elle est l’oeuvre de Kelley, qui aura signé une bonne partie des scénarios de la série, rares étant les épisodes auxquels il n’a pas participé à l’écriture. C’est d’ailleurs une des dernières dans laquelle un scénariste se soit autant impliqué, du début à la fin, les autres exemples me venait en tête étant The West Wing et Babylon 5 (à partir de la saison 2). Comme Picket Fences avant elles, c’est une série difficilement résumable. Ou plutôt, on pourrait très bien la résumer à son pitch de départ, mais ce serait éluder, mettre de côté une bonne partie des éléments de la série.
Déjà, le titre fait penser à une série mettant en vedette un seul personnage principal. Deux grands types de séries existent, jusqu’aux années 90 : les séries avec un héros principal (ou un duo ou un trio, bien sûr) et quelques personnages très secondaires, croisés le temps d’une scène, voire pas du tout, et les séries proposant de suivre tout un groupe de personnages. On pourrait penser qu'Ally McBeal appartient au premier type, mais les personnages secondaires existent tout autant qu’elle. Si le générique de la Saison 1 ne propose que des images de l’héroïne, elle proposera des images des autres personnages par la suite.
Ensuite, Kelley ne conçoit pas des séries que comme des supports pour évoquer, mettre en scène des sujets de société, des thèmes dont il a envie de débattre, de façon pertinente. Comme dans The West Wing (décidément, la faute au fait que je refasse les deux dans le même temps), la série devient lieu d’échange, de débats d’idées, de lutte d’arguments. Il y a du coup une hésitation constante dans le ton de la série, tour-à-tour sérieuse, dramatique, puis comique, avec des situations ou des personnages extravagants. La série relève à la fois des séries dramatiques traditionnelles, mais peut glisser parfois dans des situations que l’on pourrait fort bien retrouver dans une sitcom. Et comme dans The West Wing, on ne peut savoir si un dialogue débouchera sur un moment de réflexion, moment de grâce, ou un moment purement comique.
J’ai parlé d’extravagance, donc parlons des personnages : ceux-ci sont excentriques, pour la plupart, c’est-à-dire marqués d’une douce folie, ou folie douce. Ally ne peut s’empêcher de traduire en images explicites les sentiments qu’elle ressent. Billy vient de lui briser le coeur, l’image nous montre des flèches transpercer un coeur. Un prétendant éconduit Ally, celle-ci se voit déversée d’un camion-benne directement dans les ordures. Pour Richard Fish, l’un des principaux associés, le patron d’Ally, il aime particulièrement caresser la peau de femmes mures sous le menton. Quant à John Cage, c’est une collection de petites excentricités à lui-seul : il ne prend la parole en audience qu’après avoir bu un verre d’eau fraîche qu’il s’est versé, prend des ‘moments’ en s’arrêtant soudain, a le nez qui siffle… Tout cela déroute l’auditoire… et le spectateur. Et ce n’est pas fini, Kelley s’ingéniant à inventer toujours autant de “doux dingues”, personnages à la frontière des normes, que ce soit physiquement, ou dans leurs habitudes. Du coup avec de tels personnages potentiellement comiques, on comprend aisément que la série, considérée comme une dramédie, soit difficilement classable. D’autant plus que l’on n’arrive pas toujours à deviner si les personnages sont sérieux, ou pas.
Philosophiquement, la série est tout aussi flottante. Kelley, homme de dialogues, homme d’écriture, s’est amusé à créer des petites phrases signifiantes, les personnages d’Ally McBeal se caractérisant par ce qu’ils disent du monde. Ally est une imperturbable et inguérissable romantique. Elle est une sorte de Mme Bovary moderne, sans l’aspect sombre et ‘romanesque’ du personnage. Toutes deux voient leur vie et leur recherche de l’homme idéal modelés par leur imaginaire : elles rêvent leur prochaine rencontre. Cela se traduit chez Ally par des McBealismes, sentences faisant part, liées à cette vision du monde. Bien entendu, le Prince Charmant n’existe pas. Sa quête est vouée à l’échec, elle ne peut aboutir. Notamment parce que cette ultime élément manquant au bonheur d’Ally marquerait tout simplement la fin de la série. L’Idéal échoue toujours, malheureusement, devant la réalité. Face à cela, on a Richard Fish, que l’on pourrait considérer, de loin, comme un ‘grand gosse’, prenant peu de choses de façon ‘dramatique"’. Mais Richard a un sens aigu des réalités, et un goût immodéré pour l’argent. Ce qui compte pour lui, c’est de vivre le mieux possible, en amassant le plus d’argent. Tout cela s’exprime dans des réflexions simples, les fameux… Fishismes. On pourrait le considérer donc comme cynique. John Cage, son associé, l’autre patron, n’est vu qu’au travers de ses plaidoiries, ses apparitions dans la série étant liées dans un premier temps aux affaires du cabinet. Du coup, on ne sait pas, dans la saison 1, ce qu’il pense véritablement. Celui-ci doit donc rappeler comme s’il en était besoin, que quand il plaide, il ne dit pas ce qu’il pense, mais donne le meilleur discours susceptible d’aider son client. Autrement dit, il ne prend la parole que pour dire ce pour quoi il a été payé ! Mais dans le même temps, compatissant, il demande à Ally de ne pas renoncer à son romantisme, de ne pas laisser le monde gagner. Personnellement, j’aurais tendance à dire que l’époque n’était pas propice à un personnage aussi fort que le Dr House, prêt à afficher un cynisme absolu face au monde et son hypocrisie. Cynisme incarné par des personnages que l’on ne prend pas totalement au sérieux, quelque peu victimes d’eux-mêmes. Du coup, le cynisme qui s’entend dans la série est modéré, supportable, et contrebalancé par ce discours qui permet à la série d’exister, et au public de la suivre. Tout comme celui de House par le fait que ses victimes en sont ridiculisées, ou par le fait que cela le fasse passer pour un salop cruel.
La Kelleyrisation, Billy à l’origine du mal (?)
J’avais déjà posté ici, lors de la première année d’existence du blog, une note sur la ‘Kelleyrisation’. Cette pratique consistant à ne faire aucun cas des personnages ou de l’attachement des spectateurs à eux qui peut être pénible, constituer un mal. Car on les fait apparaître, ou disparaître, au gré de ses fantaisies, sans donner d’explications au spectateur, les utilisant quand on en a besoin, les faisant disparaître s’ils ne servent plus. Je ne sais pas si dans Picket Fences, Kelley utilisait déjà le procédé, mais il fut peu utilisé au début de la série n’apparaissant que dans les saisons 4 et 5, les deux dernières de la série. Dans la première saison, on fait passer John Cage du statut de récurrent à régulier, et dans les saisons 2 et 3, deux personnages, Nelle Porter et Ling, incarnées par Portia de Rossi et Lucy Lyu, apparaissent. Mais ces deux personnages n’en remplacent pas d’autres, ils renforcent la distribution initiale, et on nous donne des explications quant à leur arrivée, leur présence.
Du coup, je me suis demandé si le phénomène n’était pas apparu au cours de la saison 3. Pour ceux qui voudraient découvrir la série, n’allez pas plus loin, ce sera SPOILER !!
Trois saisons. Il aura fallu 3 saisons pour que Kelley s’aperçoive qu’il tourne en rond avec Billy Thomas, personnage fade, lisse, trop gentil pour être honnête, mari parfait, ex-petit ami parfait. Le personnage appartient malheureusement à cette catégorie difficile du Prince Charmant insaisissable, qui n’existe finalement que pour faire vibrer le coeur de l’héroïne qui ne peut l’avoir. Angel, de Buffy, appartenait également plus ou moins à cette catégorie. Billy Thomas aura surtout existé à travers Ally, pour constituer un confident de certains tourments de la jeune femme, et pas pour lui-même. Du coup, Kelley est coincé. Il faut faire quelque chose du personnage. Alors on révèle sa face sombre : Billy, le gentil boy-scout, se révèle être un insupportable macho fini. Il change totalement, se teint les cheveux en blonds, engage 4 superbes jeunes femmes soumises pour aller partout avec lui, épater avec lui, s’affirmer en tant que mâle dominant, et machiste. Insupportable, je l’ai dit, pour les personnages féminins. Et peut-être aussi pour le public, qui ne suit pas, devant une transformation qui me semble être assez brutal (je n’ai pas le souvenir que le changement ait été progressif, gradué). Comme la sauce ne prend pas, une autre solution est… d’éliminer le personnage. On lui trouve une tumeur au cerveau, qui justifie ce changement de personnalité (et en même temps, dédouane le personnage). Billy et l’entourage comprennent que cet accès de machisme est né de cette tumeur, et Billy est un mort en sursis que l’on fera disparaître. Au grand dam des spectateurs et spectatrices.
Alors je me demande si, Kelley, devant ce “problème” rencontré avec le personnage de Billy, en faire finalement quelque chose, être “forcé” de le tuer, ne voyant pas quoi faire de lui, ne s’est pas dit que mieux valait utiliser les personnages comme bon lui semble, les faire disparaître ou apparaître sans donner plus d’explications. Et si la Kelleyrisation, chez Kelley, ne serait pas née ainsi… De ce fameux Billy, dont on ne savait pas quoi faire, et qui aura connu la plus inutile évolution…
13:07 Publié dans ALLY McBEAL | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : ally mcbeal, richard fish, john cage, billy thomas, mcbealisme, fishisme, the west wing, mme bovary, kelleyrisation, histoire des séries télévisées, dr house
Commentaires
Roh ca y est tu m'as donné envie de revoir la série ! T'es content lol ?!
Écrit par : Nephthys | mercredi, 16 février 2011
C'est l'excentricité du show et sa quête d'une romance idéale qui en ont fait un succès.
Quitte à en rajouter, je dirais que la course aux guests avait son intérêt. Je me souviens encore parfaitement du duo Sting/Robert Downey Jr, ou de Josh Groban, venu deux fois. Des moments particulièrement émouvants.
A tel point qu'on finit par comprendre qu'Ally Mc Beal, c'est un peu la réalisation du fantasme de DEK : avoir une série musicale. C'est lui qui s'est impliqué pour avoir Vonda Shepard en régulière. Et les gimmicks de Barry White font partie de l'identité visuelle de la série.
Ally Mc Beal, c'est aussi l'intégration des premiers phénomènes du net (le bébé danseur), l'invention des toilettes unisexe (une première la télé) et des tonnes de gags récurrents.
Et moi quand je pense à Ally Mc Beal, je ne peux m'empêcher de penser au bruit de la grenouille écrasée (saison 2). Oui, je sais c'est cruel ;)
Écrit par : Eclair | mercredi, 16 février 2011
Beaucoup d'éléments dont je n'ai en effet pas parlé. Difficile d'être exhaustif dans une seule et même note, déjà longue. Mais mon visionnage me poussera peut-être à écrire à nouveau sur la série pour voir d'autres aspects.
Pour Vonda Shepard, faut aimer, parce que sinon, la série devient insupportable, tellement sa musique est présente, mais c'est un élément essentiel de la série, une de ses composantes, les textes des chansons faisant écho à ce que vit ou ressent l'héroïne. C'est d'ailleurs une des rares séries des années 90, je crois (et c'est important, je peux me tromper), avec Charmed et Buffy, à un degré moindre, où la musique est si présente, comme illustration de ce que vivent les personnages ou juste pour apporter une dimension musicale à la série.
Barry White, Josh Groban, Mariah Carey, même, je les considère plutôt comme des "invités musicaux" que comme des guest-stars : ils ne jouaient pas de rôle récurrent particulier dans la série, à la différence de Jon Bon Jovi en saison 5, et étaient là pour se faire de la pub, faire de la pub à la série, le temps d'un ou deux épisodes, apparaissant de façon événementiel.
Pour la "série musicale", là encore, c'est une tentative tout de même timide, modérée : on est pas encore face à un Glee, veux-je dire par là...
Par contre, jamais une série n'aura développé autant de gimmicks musicaux, plusieurs 'thèmes' étant associés de façon précise à des personnages, aidant à leur caractérisation. Remarquable...
Écrit par : KNIGHT | mercredi, 16 février 2011
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